mercredi 25 avril 2007

Editorial: Quelle haine ?

Non, Nicolas Sarkozy, vous n'êtes pas le martyr de cette campagne, la victime d'une injuste cabale, le saint Sébastien de la droite française ligoté par les rouges au poteau du supplice. Pour la plupart, vos adversaires ne sont pas animés par la haine, la peur ou le ressentiment. Et, selon toute probabilité, il n'y aura pas de «front anti-Sarkozy» vociférant et grimaçant, qui vous rendrait la tâche si facile. Il y a seulement un désaccord franc, direct, foncier, avec la politique que vous proposez. Ni plus ni moins. Il faut vous y habituer, même si vous ne goûtez guère la contradiction. Il en va ainsi dans les sociétés libres.


Votre projet est libéral. Ce n'est pas un crime. C'est même un progrès à beaucoup d'égards : plutôt qu'imposé par la fausse fatalité de la mondialisation, ce projet libéral serait choisi, si vous gagnez, en connaissance de cause. Mais si le libéralisme n'est pas un crime, il a des conséquences.
Pour les libéraux, seul le libre choix des agents économiques, sans autre frein d'une loi minimale, permet de parvenir à l'optimum collectif. La plupart des mesures prévues par vous, prudentes ou audacieuses, reposent sur cette conviction. L'ennui, c'est que ce dogme n'est jamais vérifié en pratique. Le marché laissé à lui-même conduit ­ tout le monde le sait ­ à l'efficacité, mais aussi à l'injustice. Vous voulez faire beaucoup pour l'efficacité. Rien ou presque contre l'injustice.
Une seule mesure symbolise toutes les autres : la quasi-suppression des droits de succession. On comprend que vous vouliez protéger le droit de propriété, qui comprend le droit de tester librement. Mais ce choix en contredit un autre, qui importe beaucoup dans notre République : l'égalité des chances. Les uns se donneront beaucoup de peine, comme vous le souhaitez. Mais les autres, comme disait un certain Figaro (celui de Beaumarchais, pas l'autre), se donneront seulement la peine de naître.
On a fait une révolution pour cela. Il n'y aura pas de révolution contre vous, rassurez-vous. Personne ne veut voir votre tête au bout d'une pique. Mais, pour cette raison et pour bien d'autres, ils sont beaucoup, soyez-en sûr, à ne pas souhaiter la voir, dimanche 6 mai, avec le sourire du vainqueur.
Par Laurent JOFFRIN

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